Ce tableau, représentant une dame se tenant assise à côté d'une licorne, est attribué à Luca Longhi (1507-1580), un peintre italien de la période maniériste, actif à Ravenne et sa région où il a réalisé surtout des tableaux religieux et des portraits de dignitaires locaux. Luca Longhi a formé ses deux enfants à la peinture, Francesco et Barbara. Cette dernière a d'ailleurs réalisé une copie de ce même tableau.
On sait finalement peu de choses sur l'origine de ce tableau. En revanche la tradition rapporte qu'il s'agirait du portrait d'une des maitresses du pape Rodrigo Borgia, Alexandre VI. Nous allons voir qu'il contient de très nombreux dessins cachés. La quantité des symboles insérés et des motifs graphiques rappellent ceux que l'on trouve typiquement dans les œuvres de Léonard de Vinci. On retrouve également dans les carnets de Léonard des dessins présentant une jeune femme pointant une licorne du doigt. Sachant que Longhi peignait sur toile et que ce tableau est une huile sur bois, l'attribution de ce tableau est-elle correcte ? Ne serait-il pas l'œuvre de l'atelier de Léonard ?
Luca Longhi exerçait entre 1520 et 1580, une période où la peinture à l'huile sur toile était devenue la norme. Mise à part cette dame à la licorne, ses tableaux sont peints sur toile. Il est donc curieux qu'il ait choisi un support bois. Quelques années auparavant en revanche le support bois était très répandu. Léonard de Vinci a peint uniquement sur bois entre 1470 et 1519. Longhi a représenté essentiellement des thèmes religieux, des scènes d'ensembles, des madones et des saintes. Il a aussi réalisé des portraits de la noblesse de son entourage. Voici quelques exemples.
Peintures religieuses.
Madones et Saintes.
Portraits de nobles personnages.
Le thème de la dame à la licorne dénote dans son œuvre. Il ne s'agit à priori pas d'un thème religieux. Le jeune femme richement vêtue, pieds nus, s'apparente plus à une sybille (prophétesse) ou un personnage mythologique.
Comparaison avec la copie (à droite) réalisée par Barbara, la fille de Luca Longhi.
Les carnets de Léonard de Vinci contiennent deux croquis représentant une dame pointant du doigt une licorne, couchée à ses pieds. A chaque fois le dessin est encadré par des traits, montrant clairement qu'il s'agit d'un projet de tableau. Le deuxième croquis est daté autour de 1480. On remarque la présence d'un arbre et de dessins cachés sur ces esquisses, comme sur le tableau de Longhi.
Aux pieds de la dame on remarque des têtes d'animaux (loup, cheval, taureau ?).
Oiseaux et autres.
Esquisses de visages de profil dans le feuillage de l'arbre.
Une observation attentive des détails du tableau en effectuant des rotations de 90° ou 180° nous permet de repérer de nombreux dessins cachés : visages humains, animaux ou symboles. Ce tableau est donc une énigme dont la résolution passe par la compréhension des dessins cachés.
LES VISAGES DANS LE PAYSAGE
Dans les arbres dont le feuillage surplombe la tête du personnage, on remarque de manière assez évidente l'ombre du profil de la tête d'un homme regardant vers la gauche.
En éclaircissant l'image on remarque même le contour de son œil tracé par l'artiste.
Visages dans le feuillage l'un en regardant le tableau à l'endroit, l'autre à l'envers (rotation 180°).
Tête de maure. Un personnage à la peau noire avec une coiffe blanche sur la tête.
Forme de visage dans les rochers, regardant vers le ciel.
LES ANIMAUX
L'animal principal du tableau, qui n'est pas caché, est une licorne avec un regard presque humain.
On retrouve une scène identique dans le tableau "Léda et le cygne" de l'atelier de Léonard, où un cygne (Zeus) regarde amoureusement une jeune femme.
Un profil de taureau se détache autour de la couleur vert foncé. Il est reconnaissable à la forme de sa patte avant, son encolure, sa tête et une corne.
Spectre d'animal. Probablement une biche qui bois de l'eau du lac ou qui se regarde comme dans un miroir (rotation 90° gauche).
LES SYMBOLES
Le rose blanche.
Motifs en fleur de lys sur le tissu blanc, symbole de royauté.
Les esquisses de Léonard de Vinci laissent donc à penser que le Maître avait l'intention de créer un tableau présentant une femme montrant du doigt une licorne couchée à ses pieds. La présence de l'arbre dans les deux esquisses montre qu'il s'agit d'un élément essentiel du décor, jouant un rôle dans l'interprétation de l'œuvre. L'arbre est souvent un symbole de descendance, comme par exemple l'arbre de Jessé représentant la généalogie du Christ. La licorne est un symbole de pureté et représente souvent le Christ, tout comme le cerf. Cette licorne, dont le visage a une expression très humaine dans le tableau de Longhi, regarde la jeune femme avec des yeux pleins de désir. Sur une des esquisses elle est attachée à l'arbre avec une laisse.
Si l'on tient compte de la tradition qui relate que la jeune femme pourrait représenter une maitresse du pape Rodrigo Borgia, on peut imaginer que la licorne, alias Rodrigo Borgia, cardinal puis pape (sensé représenter la pureté du Christ sur terre), est amoureux d'une jeune femme qui le désigne du doigt comme géniteur de sa descendance symbolisée par l'arbre. Ceci explique pourquoi on trouve des visages dans le feuillage de l'arbre.
Le cardinale, Rodrigo Borgia a été célèbre de 1470 à sa mort en 1503, pour avoir fait scandale en entretenant une relation au grand jour avec une femme tenant plusieurs auberges à Rome, Rosa Vanozza dei Cattanei. Elle fut sa maitresse officielle jusqu'en 1488 et lui donna quatre enfants qu'il reconnu, dont les célèbres César et Lucrèce Borgia nés en 1475 et 1480. Rodrigo lui arrangea des mariages de convenance.
En 1488, il prend une nouvelle maitresse de 14 ans, la belle Giulia Farnese avec qui il n'eut pas d'enfants. Cependant il conserva pour Vanozza une affection profonde, nourrie par l'amour viscéral qu'il portait à ses enfants. On dit qu'il déposait une rose blanche chaque soir sur son oreiller.
Portrait présumé de Vanozza Catanei, maitresse de Rodrigo Borgia de 1470 à 1488. Elle est la mère de quatre de ses enfants dont les célèbres César et Lucrèce Borgia.
Portrait présumé de Giulia Farnese en vierge Marie, jeune maitresse de Rodrigo Borgia à partir de 1488.
On remarque la ressemblance de la jeune femme du tableau avec le portrait de Vanozza.
De même le profil du personnage de surplombant la jeune femme du tableau ressemble à celui de César Borgia, fils de Vannozza.
A l'extrémité gauche du feuillage des arbres on remarque le profil d'un visage joufflu qui ressemble beaucoup à celui de Rodrigo Borgia, ici peint après son élection au sein siège en tant que pape Alexandre VI.
Le taureau est le symbole principal du blason de la famille Borgia. On trouve deux représentations de taureaux dans le tableau.
Vers 1480, le scandale de la vie conjugale du cardinale Rodrigo Borgia est connu de toute l'Italie et Vannozza a déjà donné naissance à trois enfants. Il est possible que ce scandale est donné l'idée d'un tableau satirique. L'idée de représenter le cardinal Borgia en licorne, symbole de pureté, ne manque pas d'humour. La jeune femme, telle une sybille, désigne la licorne comme le géniteur de sa descendance qui est représentée par l'arbre. L'ombre de son célèbre fils César la surplombe. Le profil de Rodrigo apparait dans le feuillage. On trouve des représentations de taureaux faisant référence au blason des Borgia. La rose blanche sur la poitrine de la licorne fait écho à la rose déposée par Rodrigo tous les soirs sur l'oreiller de Vanozza.
Léonard de Vinci vivait à Florence au moment ou il réalise les esquisses de la dame à la licorne. Si ce tableau est une production de l'atelier de Léonard ou de Léonard lui même, on peut penser que le projet prend forme en 1480. Léonard a forcément connaissance du scandale du cardinal Borgia. Il dessine des esquisses dans ses carnets. Cependant la réalisation de la peinture a pu se faire bien plus tard. Notamment à partir de 1500 quand Léonard quitte Milan et travaille pour César Borgia. Ce dernier peut lui avoir commandé un tableau en l'honneur de sa mère.